• 09.12.2024
  • de Matthias Leicht-Miranda
L'influence de la CDPH sur les entreprises suisses
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Les personnes handicapées ont les mêmes droits que les personnes non handicapées. La Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) précise ce que cela signifie dans le domaine du travail. Dans les pages suivantes, l'auteur invité Matthias Leicht-Miranda, directeur adjoint du Bureau fédéral de l'égalité pour les personnes handicapées (BFEH), explique comment il faut comprendre cela, quelles sont les autres conditions juridiques qui s'y rapportent et quelles en sont les conséquences pour les entreprises suisses.

Que dit la CDPH sur l'égalité des personnes handicapées au travail ?

La Convention de l'ONU relative aux droits des personnes handicapées a été adoptée par l'Assemblée générale de l'ONU en 2006 et ratifiée par la Suisse en 2014. Elle stipule dans son article 27 que les personnes handicapées ont le même droit au travail que les personnes non handicapées (https://www.fedlex.admin.ch/eli/cc/2014/245/fr). Les Etats parties sont tenus de veiller à ce que ce droit soit ancré dans leur cadre juridique respectif et que le droit au travail soit réalisé par des mesures concrètes. Le Commentaire général 8 explique comment l'art. 27 doit être compris selon le Comité des Nations unies pour les droits des personnes handicapées (CRPD/C/GC/8 : General comment No. 8 (2022) on the right of persons with disabilities to work and employment | OHCHR) : il ne s'agit pas seulement de l'accès au marché du travail, mais le droit englobe tous les aspects de la vie professionnelle, du recrutement à la fin de la relation de travail. Outre la répétition de droits de l'homme liés au travail issus d'autres conventions internationales (par exemple, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU), comme la protection de la santé, le droit d'adhérer à des syndicats ou la protection contre le travail forcé, le commentaire général spécifie l'interdiction de la discrimination et aborde la situation spécifique des personnes handicapées sur le marché du travail.     

Cinq formes de discrimination à l'encontre des personnes handicapées dans le monde du travail

On parle de discrimination directe (1) lorsque, par exemple, un employeur refuse d'embaucher une candidate en raison de son handicap. Il y a discrimination indirecte (2) lorsque les barrières ne sont pas supprimées, empêchant ainsi une personne handicapée d'accéder à une opportunité. Le refus d'aménagement raisonnable (3) et le harcèlement (4) constituent également des discriminations. Enfin, les proches des personnes handicapées peuvent être victimes de discrimination en raison de leur relation avec ces dernières (discrimination par association (5)).

Le "travail protégé" en remplacement d'un emploi public 

Selon le Comité, les emplois protégés dans les institutions ne sont pas compatibles avec la CDPH à plusieurs égards. Selon le comité de l'ONU, les institutions se basent sur une image des personnes handicapées axée sur les déficits, séparent les personnes handicapées du reste de la société, n'encouragent guère la transition vers le marché du travail ordinaire et les ateliers ne paient généralement pas aux employés un salaire approprié pour leur prestation de travail. Les États parties sont donc tenus de promouvoir systématiquement l'inclusion dans le marché du travail ordinaire.

Aménagements raisonnables

Par aménagement raisonnable, on entend les modifications et le soutien individuels nécessaires et adaptés qui permettent à une personne handicapée d'effectuer son travail au même titre que les autres personnes. Les aménagements ne doivent pas entraîner de dépenses disproportionnées de la part de l'employeur et/ou des autres collaborateurs. Les aménagements doivent être discutés entre la personne concernée et l'employeur. Si la meilleure solution est disproportionnée pour l'employeur, d'autres solutions doivent être recherchées ensemble.

Comment la CDPH est-elle mise en œuvre en Suisse dans le domaine du travail ?

La CDPH a été ratifiée par la Suisse dix ans après l'entrée en vigueur de la loi sur l'égalité des personnes handicapées (LHand). En 2015, la LHand a été évaluée et il a été constaté, entre autres, qu'elle n'avait encore que peu d'impact sur le droit au travail. Le premier rapport sur la politique fédérale en faveur des personnes handicapées (2018) a donc mis l'accent sur l'égalité dans le travail pour les années à venir. Jusqu'en 2022, les connaissances sur le sujet ont été consolidées, des projets pilotes visant à promouvoir des environnements de travail inclusifs ont été soutenus et évalués, et les acteurs de l'administration fédérale, des partenaires sociaux, de la société civile et de la science ont été mis en réseau. L'évaluation de ces activités a montré que les progrès réalisés n'allaient pas encore assez loin et qu'il restait encore beaucoup à faire en matière d'égalité des personnes handicapées au travail. Lors de l'examen du premier rapport étatique de la Suisse par le Comité de l'ONU, ce dernier a encore constaté de grandes lacunes dans la protection contre la discrimination et dans l'égalité. C'est également dans ce contexte que le Conseil fédéral a décidé de lancer en 2023 un nouveau programme prioritaire dans le domaine du travail, ainsi que de proposer une révision partielle de la loi sur l'égalité des personnes handicapées. 

Le programme prioritaire doit, d'ici 2026, faire connaître plus largement aux employeurs les mesures élaborées pour promouvoir des environnements de travail inclusifs, soutenir davantage les employeurs publics dans leur rôle de modèle et faciliter le passage du marché du travail complémentaire au marché du travail ordinaire. La révision partielle de la LHand propose à cet effet un ancrage plus clair de l'interdiction de la discrimination, l'obligation pour tous les employeurs de procéder à des aménagements raisonnables et le renforcement des droits des personnes handicapées dans le domaine du travail. Si le projet est adopté par le Parlement, les employeurs ne seront pas seulement invités et soutenus dans la mise en œuvre de la CDPH dans le domaine du travail, ils y seront également obligés.

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Ueli Streit, responsable diversité et inclusion

Ueli Streit (Professionell Business Coach CIP Munich) est responsable de la diversité et de l'inclusion chez HMS. Il s'engage pour un environnement de travail inclusif dans les organisations et s'investit dans le développement continu de la mesurabilité de la diversité et de l'inclusion

Les nouvelles directives européennes sur les rapports de durabilité des entreprises

Dans l'UE également, le cadre juridique et les directives sont constamment adaptés aux prescriptions de la CDPH. Une obligation d'aménagement raisonnable existe déjà dans l'UE depuis 2000. Elle est mise en œuvre différemment par les États membres et devrait revenir sur le devant de la scène dans les années à venir. En outre, les lois de nombreux pays de l'UE prévoient des quotas de collaborateurs handicapés. 

Les directives de l’UE relatives à la déclaration des entreprises sur le développement durable (2022/2464), qui sont juridiquement opérationnelles, pourraient également être pertinentes pour de nombreux employeurs suisses, soit parce qu’elles sont des filiales d’entreprise domiciliées dans l’UE (ou inversement parce qu’elles ont des filiales dans l’UE) ou parce qu’ils sont fournisseurs de ces entreprises. De plus en plus d'employeurs suisses sont donc tenus de rédiger des rapports de durabilité. A partir des prochaines années, ils seront également tenus de rendre compte de la situation des collaborateurs handicapés. Si aucun effort n'est fait pour promouvoir des environnements de travail inclusifs ou, plus généralement, l'égalité des collaborateurs handicapés, cela pourrait donc avoir à l'avenir des conséquences négatives sur les relations commerciales avec des partenaires de l'UE. 

Que peuvent faire les entreprises suisses ?

Actuellement, les entreprises suisses sont encore peu concernées par les obligations découlant de la CDPH. Comme expliqué ci-dessus, des obligations directes et indirectes pourraient toutefois concerner les entreprises suisses à l'avenir.

En ces temps de pénurie de main-d'œuvre qualifiée et de nécessité de réagir de manière innovante aux changements économiques mondiaux, il est plus que jamais judicieux de promouvoir l'emploi de collaborateurs handicapés et l'inclusion dans l'entreprise. Cela permet d'accéder à un plus grand réservoir de main-d'œuvre potentielle.

En principe, toute entreprise peut engager des personnes atteintes dans leur santé, mais pas n'importe quel poste de travail pour n'importe quelle personneLes offices AI cantonaux conseillent volontiers sur les possibilités.

Il est prouvé qu'un environnement de travail inclusif favorise l'innovation et contribue à réduire le nombre de jours de maladie [1]. 

Les employeurs peuvent promouvoir un environnement de travail inclusif en se positionnant clairement en faveur de la diversité et de l'inclusion. L’égalité des collaborateurs handicapés devrait faire partie des objectifs stratégiques et opérationnels et être encouragée par différentes mesures. Cela inclut la formation ciblée des cadres et des équipes, la désignation de personnes de contact, l’accessibilité et les modèles de travail flexibles.

En 2025, l’Office fédéral pour l’égalité des personnes handicapées publiera une boîte à outils contenant des instruments éprouvés et efficaces. Nombre de ces instruments sont déjà disponibles. L’un d’eux est l’Inclusion-Check, qui permet de procéder à une analyse précise de la situation en matière d'inclusion dans sa propre entreprise. Une enquête auprès des collaborateurs permet de déterminer les perceptions et les besoins de tous les collaborateurs indépendamment de leurs caractéristiques individuelles (par exemple sexe, nationalité, handicap physique) ou situations de vie (orientation sexuelle, niveau d’éducation, religion). Sur cette base, des mesures ciblées peuvent être planifiées et mises en œuvre. La boîte à outils propose déjà différents services de conseil pour la planification des mesures.

En savoir plus et participer activement à l'inclusion

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Conclusion

La CDPH inscrit le droit à l'égalité dans le travail pour les personnes handicapées dans les droits de l'homme internationaux. Cela exerce une influence sur le cadre juridique en Suisse et dans l'UE et concerne donc indirectement et de plus en plus directement les entreprises suisses. Avec différents partenaires, la Confédération met à disposition des possibilités de soutien pour les grandes entreprises et aussi pour les PME. Les utiliser à un sens économique pour les entreprises et permet d'anticiper les obligations futures.

Vers l'auteur

Matthias Leicht-Miranda est encore directeur suppléant du Bureau fédéral de l'égalité pour les personnes handicapées (BFEH) jusqu'à la fin de l'année 2024 et dirigera l'état-major de direction de l'office AI de Berne à partir de janvier 2025. Depuis 2018, il dirige le pôle Travail de la politique fédérale en faveur des personnes handicapées. Dans ses formations universitaires également, il s'est toujours intéressé aux thèmes de l'égalité des personnes handicapées et de l'intégration au marché du travail. Il est titulaire d'une licence en sciences sociales de l'Université de Fribourg (lic. soc. rer., 2006), d'un master en études du handicap de l'Université de Leeds (M.A., 2011) et d'un master en sciences administratives de l'Université de Birmingham (MPA, 2023).

Sources & littérature complémentaire

[1] Böhm, S. A. & Dwertmann, D. J. G. (2017). Climate for inclusion as a mechanism to increase innovation : The effect of disability diversity on the continuous improvement mechanism at a premium car manufacturer. Working Paper de l'Université de Saint-Gall.

Böhm, S. A. & Baumgärtner, M. K. (2016). Diriger de manière plus saine. Harvard Business Manager, 38 : 6-9